LE GRAND-PERE D'UN MARÉCHAL DE FRANCE SE PAIE UN REMPLAÇANT POUR ÉCHAPPER A LA CONSCRIPTION.
La façon de "lever les armées" a subi des modifications à travers les âges. Chez
les Egyptiens et les Indiens, les guerriers formaient une caste qui, seule,
pouvait porter les armes. En Grèce et à Rome, tous les citoyens (sauf quelques
exceptions) étaient tenus au service militaire. En France, au Moyen Age, les
armées se composaient de bandes qui étaient formées pour la durée des conflits,
et qui se dispersaient sitôt la fin des hostilités. Puis on adopta le principe
des levées forcées, qui subsista de Charles VI à Louis XII. Ce dernier les
remplaça par les enrôlements volontaires. Les deux modes existèrent ensuite
simultanément du règne d'Henri IV à la Révolution. La Convention classa les
hommes en trois catégories : les levées extraordinaires, les levées en masse, la
réquisition. En 1798, le Directoire institua la conscription, système qui
consistait à inscrire les noms de tous les jeunes gens susceptibles d'ètre
incorporés dans l'armée, et à faire désigner par le sort ceux qui devaient ètre
appelés sous les drapeaux. Peu après, la loi admit la faculté de la substitution
et le remplacement. Les plus riches, dont le nom avait été tiré au sort,
pouvaient ainsi échapper à la conscription. En cédant quelques biens et en
offrant quelque argent, ils se payaient un remplaçant qui effectuait le service
militaire à leur place.
C'est ce que fit Benoît Pétain (ou Bénoni 1794-1879 ; les deux mentions figurent
sur l'acte), grand-père de Philippe Pétain. Le prix du remplacement était assez
élevé (2,94 ha dans le cas présent, sans compter l'argent !). Il y avait là
moyen, pour ceux qui ne possédaient rien, de se constituer un petit patrimoine.
Mais le risque de périr sur un champ de bataille était grand au cours des
guerres napoléoniennes. Cet accord était conclu sous forme d'un contrat dont
voici le texte.
"Les soussignés Louis-Joseph-Telesphore HANOTEL né à Auchel le 17 mars 1791, agé
de 22 ans, domicilié au dit Auchel, fils majeur légitime de feu François-Joseph
et dame Anne-Joseph LARDE, conscrit de mil-huit-cent-onze n° 17 du canton de
Norrent-Fontes, étant placé à la fin du départ de sa classe, d'une part, et
d'Elizabeth DEGRUGILLIERS veuve Thimotée PETAIN, cultivateur demeurant en la
commune du dit Auchel et Benoît-Joseph PETAIN, son fils agé de 19 ans demeurant
avec icelle au dit lieu, conscrit de l'an mil-huit-cent-quatorze n° 103 du
canton de Norrent-Fontes duquel elle se fait fort, et qu'elle autorise à l'effet
des présentes d'autre part, dont convenu de ce qui suit :
Le premier du nom HANOTEL promet de s'engager à servir en bon et fidèle soldat,
dans les armées françaises, pour le remplacement du dit Benoni-Joseph PETAIN, en
tant et aussi longtemps qu'il plaira à sa majesté l'empereur et roy et à cet
effet la dite Elisabeth DEGRUGILLIER et Benoni PETAIN son fils, cèdent et
transportent au dit HANOTEL acceptant la propriété, les immeubles ci à savoir :
Soixante-trois ares de labour (ou six quartiers) tenant au chemin de
Calonne-Ricouart, terroir d'Auchel, de levant au dit chemin et de couchant à
Honoré DELOBELLE évalué à la somme de neuf-cents francs.
Sept ares cinquante-six centiares de terre à labour (ou 18 verges) céant au dit
lieu, tenant de levant à Augustine LEFEVRE et de couchant à la même, évalué à la
somme de cent francs.
Trente-et-un ares quarante-sept centiares de terre à labour ou trois quartiers
situés au chemin de Béthune, terroir qui ........., tenant au levant aux
héritiers de Marguerite PENET et de couchant aux enfants de Jean-Baptiste MANTEL
évalué le dit corps de terre à la somme de cinq-cents francs.
Un hectare quatre-vingt-onze ares quatre-vingt-quatorze centiares de terre
labourable (ou quatre mesures cinquante-cinq verges) à prendre dans une plus
grande pièce située au chemin de Lillers pour tenir de levant aux héritiers de
dame HALLOSSERIE, de midi à la veuve Henri LOCQUET et de couchant à veuve Louis
DEGRUGILLIER et de nord au restant de la pièce, estimé à la somme de deux-mille
francs.
En promettant livrer le tout par grandeur et mesurage au surplus la dite
DEGRUGILLIER et Benoni PETAIN, son fils, promettent de payer au dit HANOTEL une
somme de trois-cent-quinze francs dont cent-soixante-cinq francs comptant et le
restant à la première demande du dit HANOTEL ou de son fondé
de pouvoir.
Les frais pour acquisition des droits réels des biens ci-dessus cédés seront à
la charge de la dite DEGRUGILLIER et de son fils. Pour le surplus convenu, il
résulte que le dit Benoni PETAIN aura la jouissance des immeubles susdits
jusqu'au retour définitif du dit HANOTEL moyennant le rendage annuel de
deux-cents francs payables par trimestre à date des présentes, l'entrée des
jouissances est fixé à la Saint-Rémy prochain.
Lors de la rentrée définitive du dit HANOTEL, le dit HANOTEL rentrera dans les
parties de terre qui ne seraient pas engagées et ne seraient tenues à aucun
frais de labour et d'engrais d'icelles. Dans le cas où le dit HANOTEL ne serait
pas accepté par l'autorité en remplacement du dit PETAIN, le présent acte serait
nul et de nul effet, sauf que le dit PETAIN sera tenu de payer au dit HANOTEL
pour indemnité de voyage la somme de vingt-quatre francs et si par fait
contraire, il est accepté, les parties s'obligent de
passer et réaliser le présent engagement par devant tel notaire qu'elles
trouveront convenir.
Fait en double entre les parties soussignées, à Auchel le 24 de mai
mil-huit-cent-treize."
NOTA : En 1855, on substitua au remplacement direct, l'exonération par le
paiement direct de sommes d'argent aux caisses de l'Etat. Ces fonds servaient à
payer les soldats qui se rengageaient et ceux qui remplaçaient les hommes
exonérés. Ce n'est qu'en 1873 que la loi déclara le principe du service
militaire obligatoire pour tous. Seule la durée du séjour sous les drapeaux a
varié depuis.
Louis Joseph Télesphore HANOTEL fut incorporé au 76ème régiment de ligne et
trouva la mort au service du pays le 6 novembre 1813 à Saverne dans le Bas-Rhin.
Son nom est gravé sur le premier monument aux morts érigé dans le cimetière
d'Auchel.
Cordialement
JL
La façon de "lever les armées" a subi des modifications à travers les âges. Chez
les Egyptiens et les Indiens, les guerriers formaient une caste qui, seule,
pouvait porter les armes. En Grèce et à Rome, tous les citoyens (sauf quelques
exceptions) étaient tenus au service militaire. En France, au Moyen Age, les
armées se composaient de bandes qui étaient formées pour la durée des conflits,
et qui se dispersaient sitôt la fin des hostilités. Puis on adopta le principe
des levées forcées, qui subsista de Charles VI à Louis XII. Ce dernier les
remplaça par les enrôlements volontaires. Les deux modes existèrent ensuite
simultanément du règne d'Henri IV à la Révolution. La Convention classa les
hommes en trois catégories : les levées extraordinaires, les levées en masse, la
réquisition. En 1798, le Directoire institua la conscription, système qui
consistait à inscrire les noms de tous les jeunes gens susceptibles d'ètre
incorporés dans l'armée, et à faire désigner par le sort ceux qui devaient ètre
appelés sous les drapeaux. Peu après, la loi admit la faculté de la substitution
et le remplacement. Les plus riches, dont le nom avait été tiré au sort,
pouvaient ainsi échapper à la conscription. En cédant quelques biens et en
offrant quelque argent, ils se payaient un remplaçant qui effectuait le service
militaire à leur place.
C'est ce que fit Benoît Pétain (ou Bénoni 1794-1879 ; les deux mentions figurent
sur l'acte), grand-père de Philippe Pétain. Le prix du remplacement était assez
élevé (2,94 ha dans le cas présent, sans compter l'argent !). Il y avait là
moyen, pour ceux qui ne possédaient rien, de se constituer un petit patrimoine.
Mais le risque de périr sur un champ de bataille était grand au cours des
guerres napoléoniennes. Cet accord était conclu sous forme d'un contrat dont
voici le texte.
"Les soussignés Louis-Joseph-Telesphore HANOTEL né à Auchel le 17 mars 1791, agé
de 22 ans, domicilié au dit Auchel, fils majeur légitime de feu François-Joseph
et dame Anne-Joseph LARDE, conscrit de mil-huit-cent-onze n° 17 du canton de
Norrent-Fontes, étant placé à la fin du départ de sa classe, d'une part, et
d'Elizabeth DEGRUGILLIERS veuve Thimotée PETAIN, cultivateur demeurant en la
commune du dit Auchel et Benoît-Joseph PETAIN, son fils agé de 19 ans demeurant
avec icelle au dit lieu, conscrit de l'an mil-huit-cent-quatorze n° 103 du
canton de Norrent-Fontes duquel elle se fait fort, et qu'elle autorise à l'effet
des présentes d'autre part, dont convenu de ce qui suit :
Le premier du nom HANOTEL promet de s'engager à servir en bon et fidèle soldat,
dans les armées françaises, pour le remplacement du dit Benoni-Joseph PETAIN, en
tant et aussi longtemps qu'il plaira à sa majesté l'empereur et roy et à cet
effet la dite Elisabeth DEGRUGILLIER et Benoni PETAIN son fils, cèdent et
transportent au dit HANOTEL acceptant la propriété, les immeubles ci à savoir :
Soixante-trois ares de labour (ou six quartiers) tenant au chemin de
Calonne-Ricouart, terroir d'Auchel, de levant au dit chemin et de couchant à
Honoré DELOBELLE évalué à la somme de neuf-cents francs.
Sept ares cinquante-six centiares de terre à labour (ou 18 verges) céant au dit
lieu, tenant de levant à Augustine LEFEVRE et de couchant à la même, évalué à la
somme de cent francs.
Trente-et-un ares quarante-sept centiares de terre à labour ou trois quartiers
situés au chemin de Béthune, terroir qui ........., tenant au levant aux
héritiers de Marguerite PENET et de couchant aux enfants de Jean-Baptiste MANTEL
évalué le dit corps de terre à la somme de cinq-cents francs.
Un hectare quatre-vingt-onze ares quatre-vingt-quatorze centiares de terre
labourable (ou quatre mesures cinquante-cinq verges) à prendre dans une plus
grande pièce située au chemin de Lillers pour tenir de levant aux héritiers de
dame HALLOSSERIE, de midi à la veuve Henri LOCQUET et de couchant à veuve Louis
DEGRUGILLIER et de nord au restant de la pièce, estimé à la somme de deux-mille
francs.
En promettant livrer le tout par grandeur et mesurage au surplus la dite
DEGRUGILLIER et Benoni PETAIN, son fils, promettent de payer au dit HANOTEL une
somme de trois-cent-quinze francs dont cent-soixante-cinq francs comptant et le
restant à la première demande du dit HANOTEL ou de son fondé
de pouvoir.
Les frais pour acquisition des droits réels des biens ci-dessus cédés seront à
la charge de la dite DEGRUGILLIER et de son fils. Pour le surplus convenu, il
résulte que le dit Benoni PETAIN aura la jouissance des immeubles susdits
jusqu'au retour définitif du dit HANOTEL moyennant le rendage annuel de
deux-cents francs payables par trimestre à date des présentes, l'entrée des
jouissances est fixé à la Saint-Rémy prochain.
Lors de la rentrée définitive du dit HANOTEL, le dit HANOTEL rentrera dans les
parties de terre qui ne seraient pas engagées et ne seraient tenues à aucun
frais de labour et d'engrais d'icelles. Dans le cas où le dit HANOTEL ne serait
pas accepté par l'autorité en remplacement du dit PETAIN, le présent acte serait
nul et de nul effet, sauf que le dit PETAIN sera tenu de payer au dit HANOTEL
pour indemnité de voyage la somme de vingt-quatre francs et si par fait
contraire, il est accepté, les parties s'obligent de
passer et réaliser le présent engagement par devant tel notaire qu'elles
trouveront convenir.
Fait en double entre les parties soussignées, à Auchel le 24 de mai
mil-huit-cent-treize."
NOTA : En 1855, on substitua au remplacement direct, l'exonération par le
paiement direct de sommes d'argent aux caisses de l'Etat. Ces fonds servaient à
payer les soldats qui se rengageaient et ceux qui remplaçaient les hommes
exonérés. Ce n'est qu'en 1873 que la loi déclara le principe du service
militaire obligatoire pour tous. Seule la durée du séjour sous les drapeaux a
varié depuis.
Louis Joseph Télesphore HANOTEL fut incorporé au 76ème régiment de ligne et
trouva la mort au service du pays le 6 novembre 1813 à Saverne dans le Bas-Rhin.
Son nom est gravé sur le premier monument aux morts érigé dans le cimetière
d'Auchel.
Cordialement
JL