Ce que je viens de recevoir.
Cordialement:
JL
Alerte Wikio
Généalogie.com : le rêve de Toussaint Roze L’histoire de Notrefamille.com est une success story. Cette petite entreprise familiale, née presque par hasard dans les années 1990, est devenue en quelques années une des plus grosses entreprises françaises du net. Le plus étonnant dans cette affaire, c’est que ce succès s’est construit autour de la généalogie alors même que le PDG-fondateur, Toussaint Roze, avouait dans une interview en 2009 n’y porter qu’un intérêt « technique » . Force est de constater que Toussaint Roze a eu le nez creux. Concepteur du premier logiciel de généalogie pour Windows, arrivé sur le net très tôt, Notrefamille.com est un précurseur du web. Suffisamment costaud pour résister (difficilement, il est vrai) à l’éclatement de la bulle internet, l’ancienne entreprise familiale rentre en bourse en 2007. Tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes pour Notrefamille.com. Le Google de la généalogie Toussaint Roze, PDG Fondateur de Notrefamille.com (Image Notrefamille.com) Mais Toussaint Roze a un rêve. Il rêve que genealogie.com devienne le Google de la généalogie, proposant tous les services et toutes les données nécessaires au chercheur. Toussaint Roze rêve que tout généalogiste débutant soit obligé de passer par son site. Toussaint Roze rêve enfin que les généalogistes n’aient plus besoin d’aller voir ailleurs que chez lui. Pour cela, Toussaint Roze a besoin d’une base de données la plus exhaustive possible. Progressivement, genealogie.com a commencé à faire ce que toute entreprise cotée en bourse cherche à faire : phagocyter ses concurrents. Cela a commencé avec le rachat de SWIC en 2007. Ce faisant, il a racheté sa base de données mais aussi des contrats d’exclusivités qui liaient SWIC a certaines associations sur plusieurs années, bien contraintes de transférer leurs dépouillements bénévoles vers le site de Toussaint Roze. Le fonds Coutot, géré par la société ARFIDO , n’a certes pas été acheté, mais il est aujourd’hui intégré à la base de genealogie.com, sous la forme d’une licence de réutilisation. Une autre base de données intéresse fortement Toussaint Roze : celle des arbres en ligne de Geneanet. Il aimerait bien s’en emparer pour deux raisons. Tout d’abord, elle compte beaucoup plus d’individus que celle des arbres de genealogie.com (370 millions, contre 93 millions seulement pour Toussaint Roze), mais surtout, elle est gratuite. Cette gratuité d’accès gêne considérablement l’entrepreneur dans ses plans de développement. Certaines sources bien placées ont pu me confirmer que Geneanet avait bien fait l’objet d’offres d’achat, systématiquement refusées. Qu’à cela ne tienne. Toussaint Roze sait comment contrer son concurrent. Il lui faut intégrer et indexer les documents d’archives les plus utiles aux généalogistes : Etat-Civil, Registres paroissiaux, recensements… Après avoir phagocyté SWIC et intégré Coutot, confronté au refus de Geneanet, Toussaint Roze rêve maintenant d’intégrer les images détenues par d’autres concurents : les services d’archives publiques, gardiens du patrimoine et de l’histoire des français. Il leur a donc demandé, poliment dans un premier temps, de bien vouloir lui transférer les images numériques des documents d’archives. Bien entendu, les archives départementales, fortes de l’article 11 de la loi de 1978 sur la réutilisation des données publiques, se sont empressées de répondre par la négative à celui qui voudrait faire payer l’accès à des données acquises gratuitement. L’injonction faite aux archives Inutile de préciser que Toussaint Roze n’a pas apprécié. Il a donc rameuté son armée d’avocats, épluché les textes, et interprété des avis de la CADA (qui sont d’ailleurs aujourd’hui contestés et attaqués par les services d’archives). Fort de tout cela, il est passé à la vitesse supérieure. NotreFamille a donc envoyé, en date du 4 mai 2010, une véritable injonction aux archives départementales, une mise en demeure de lui communiquer les documents tant convoités.Télécharger la lettre de NotreFamille.com aux services d'archives Cette lettre a provoqué un tremblement de terre au sein de la communauté des archivistes. Jamais une société n’avait utilisé de telles méthodes, un tel ton, vis-à-vis de ce service public. Mais Toussaint Roze espère que certains services d’archives refuseront malgré tout. Car dans ce cas, NotreFamille s’empressera de traduire en justice les récalcitrants. Et ce jour-là, Toussaint Roze espère bien obtenir une jurisprudence qui lui serait favorable et qui lui ouvrirait en grand les portes des archives. Cette perspective effraie tellement les directeurs d’archives que, selon une personne proche du dossier, deux d’entre eux ont même pleuré à la lecture du courrier. Plan B : le grand emprunt Le fondateur de NotreFamille est cependant un homme avisé. Et il est bien conscient que la jurisprudence en question pourrait tout aussi bien se retourner contre lui. Il lui fallait donc un plan B. Et ce plan B, c’est le gouvernement qui le lui a servi sur un plateau avec le Grand Emprunt. Une partie de ce prêt est en effet dores et déjà affectée à des projets de numérisation. Si jamais il n’obtient pas les images de la part des services d’archives, alors il les numérisera lui-même avec l’argent que lui prêtera l’Etat. Malin, non ? Mais comment faire pour augmenter les chances d’être bénéficiaire de l’emprunt ? Cela passe bien sûr par la communication. Un buzz et de drôles de chiffres Commençons donc pas commander un sondage qui permettra de montrer à quel point la généalogie est populaire chez les français. Ce sondage ne nous apprendra pas grand chose de neuf au final. Toute personne s’intéressant un peu au sujet connait cet engouement. Peu importe, le buzz fonctionnant, et les agences de communication faisant bien leur travail, les médias en parleront pendant des mois. La généalogie apparaîtra donc comme une préoccupation majeure. La candidature de NotreFamille correspond donc à une attente des français.Télécharger le communiqué Second point, se faire passer pour le seul interlocuteur possible sur le marché. Quitte à s’arranger avec la réalité. Oh, pas méchamment, c’est vrai. Juste un petit pêché d’orgueil. Sur son communiqué de presse faisant office de candidature au grand emprunt, Toussaint Roze nous apprend que genealogie.com est « le premier site francophone d’histoire familiale » . Que veut-il donc dire par là ? S’agit-il d’une référence chronologique ? C’est ce que peut laisser penser l’interview de Toussaint Roze en 2009 mentionnée plus haut (voir à 7min30). Il y prétend avoir été le premier a avoir mis en ligne un service de généalogie. Mais Toussaint Roze semble oublier que Geneanet a été créé en 1996, 4 ans avant le portail notrefamille.com et 7 ans avant la marque genealogie.com. Si l’on en croit la présentation officielle de l’entreprise, cette première place serait due au nombre d’individus présents dans la base de genealogie.com. Mais cela pose également un petit problème, puisque genealogie.com affiche sur sa page d’accueil 205 millions d’individus quand Geneanet en compte 370 millions ! Toussaint Roze se sera sans doute trompé dans les chiffres.Télécharger la présentation officielle de Notrefamille La dernière solution est donc que genealogie.com soit le site de généalogie le plus populaire, c’est à dire le plus fréquenté. Mais je n’ose pas croire que Toussaint Roze ignore les derniers chiffres d’audience de Nielsen. Car même si personne, pour le moment, ne les avait publiés, les chiffres sont formels. Depuis 7 mois, genealogie.com n’est plus le site généalogique le plus visité de France. Il n’est que second avec 769.000 visiteurs uniques en avril 2010, derrière Geneanet et ses 838.000 visiteurs uniques. Chez les Kosciusko-Morizet, on numérise en famille ? Mais le buzz et les chiffres étonnants ne sont pas les seuls arguments utilisés par Toussaint Roze. Il en existe un qui est peut-être le plus efficace : le lobbying. Et pour cela, il dispose d’une arme redoutable : son Conseil d’Administration. Ou, plus précisément, l’un des administrateurs : Pierre Kosciusko-Morizet.Pierre Kosciusko-Morizet en 2008 (Raphael Labbé - Wikipédia - CC by-sa) Cet entrepreneur web, fondateur de Priceminister, est effectivement actionnaire et administrateur de Notrefamille.com. Après avoir revendu son bébé à des investisseurs japonais, il pourrait bien rendre un sacré service à Toussaint Roze. Car, heureux hasard, Pierre Kosciusko-Morizet n’est autre que le frère de Nadine Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’État à la Prospective et au Développement de l’économie numérique, et à ce titre en charge de la priorité « numérique » du Grand Emprunt. Vous avez dit conflit d’intérêt ? Vous pensez que, chez les Kosciusko-Morizet, on numérise en famille ? Comme vous y allez ! Je suis pour ma part certain, que Pierre ne touchera jamais le moindre mot à sa grande soeur de la candidature de NotreFamille au grand emprunt et que Nadine sortira de la salle lorsqu’il sera question de la société dont son petit frère est administrateur. C’est évident ! D’ailleurs a-t-on jamais vu l’un de nos ministres mettre ses intérêts personnels et familiaux avant ceux de la nation ? Ceci dit, il serait préférable pour Toussaint Roze qu’il obtienne ce qu’il cherche. Car sinon, il pourrait bien être obligé de revoir les ambitions de son entreprise à la baisse. En effet, si Toussain Roze ne s’intéresse pas beaucoup à la généalogie, il est aujourd’hui évident qu’en plus, il ne connait pas les généalogistes. La fronde des généalogistes Les généalogistes ne jurent en effet que par la liberté d’accès aux images d’archives. Ils ne détestent rien tant que les sociétés qui montrent des velléités dans la commercialisation de données publiques. Il suffit pour s’en rendre compte de voir les 33.000 signatures de la fameuse pétition pour une généalogie libre. Et j’ai l’impression que Toussaint Roze s’en est rendu compte. Il a, comme je le disais, sans aucun doute analysé les chiffres de Nielsen. Il aura donc constaté qu’en un an, la fréquentation de genealogie.com a diminué de près de 10%. A l’inverse Geneanet, dont le modèle économique repose sur la gratuité de l’accès aux données, a vu sa fréquentation augmenter de 22% dans le même laps de temps. Eh oui, le modèle économique qui a fait le succès de genealogie.com semble bien marquer le pas. Aujourd’hui, sa volonté de devenir le leader de la diffusion payante d’images d’archives et de données généalogiques fait fuir les généalogistes. La politique menée Toussaint Roze fait partir ses propres clients pendant que les sites basés sur un accès libre se développent de plus belle ! L’heure des justifications En entrepreneur de premier ordre qu’il est, Toussaint Roze l’a compris. Et cela lui pose un sérieux problème. Car pour que son rêve se réalise, Toussaint Roze a besoin des généalogistes. Il lui faut donc rassurer ceux qui sont restés et faire revenir ceux qui sont partis. C’est donc probablement pour cette raison qu’il a commencé à communiquer à tout va pour expliquer qu’il n’est pas le Grand Méchant Loup, et qu’il n’œuvre que pour la sauvegarde du patrimoine français. Après une réponse publiée sur Géneinfos, Toussaint Roze s’est fendu d’une lettre d’explication de 4 pages, adressée aux associations de généalogie. Dans ce courrier, il nous apprend qu’il détient la plus grande base française de relevés nominatifs issus du travail de bénévoles. L’index affiché sur genealogie.com indique 72 millions d’individus. Je précise tout de même que GénéaBank (outil associatif) affiche, lui, 58 millions d’actes. Dans la très grande majorité des cas, il y a plusieurs individus par acte. Je n’ai pas le chiffre exact, mais je suppose qu’on ne doit pas être bien loin des 72 millions. Toussaint Roze évite de le préciser, mais c’est de bonne guerre.Télécharger la lettre de Notrefamille.com aux associations Il nous apprend également que le fait que certaines associations n’aient pas souhaité signer de « partenariat » avec eux porte « un préjudice certain pour [ses] utilisateurs ». Le préjudice se porte sans doute sur le fait d’avoir payé plus de 100€ par an (9€ par mois pour l’offre la moins chère) pour ne pas avoir accès à la totalité des données. J’informe donc tous ses utilisateurs que l’adhésion à une association membre de Généabank coûte bien moins cher (17€ pour l’EGMT, par exemple), et que les données non présentes sur Généabank peuvent être trouvées gratuitement sur les services d’archives en ligne ou les réseaux d’entraide bénévole. En vérité, le seul à être vraiment lésé par cette mauvaise volonté de certaines associations, c’est bien Toussaint Roze. Inutile de chercher à faire culpabiliser des équipes de bénévoles. Dans ce courrier, le fondateur de genealogie.com nous apprend également que, pour ne pas perdre de terrain face à ses concurents (ce qui est déjà trop tard, nous l’avons vu), Toussaint Roze souhaite « utiliser la même logique de réutilisation » des données publiques que ces derniers. La même logique ? Rappelons son concurrent direct (Geneanet) ouvre la plupart de ses images d’archives à tout le monde, sans avoir besoin de payer quoique se soit. Les quelques documents accessibles au « Club Privilège » le sont également gratuitement aux membres d’associations qui déposent les images d’archives. Quant aux simples résultats de recherche, il sont accessibles gratuitement pour tout le monde. Ce n’est pas vraiment ce que j’appelle la même logique. Toussaint Roze nous rassure totalement en page 3 quand il nous apprend que son projet « contribue même à préserver la gratuité du service ». Il fallait y penser. Faire payer l’accès sur son site permettra de préserver la gratuité d’accès sur les autres sites. Il fallait oser, Toussaint Roze l’a fait. Merci pour tant de dévouement à la cause de la généalogie libre. Une privatisation de facto Certes Toussaint Roze a raison de préciser qu’il n’y a pas de confiscation de données. C’est totalement vrai. Les généalogistes pourront, s’ils le souhaitent, utiliser d’autres services gratuits. Mais où se situera la possibilité de choisir ? Qui pourra se positionner durablement face à genealogie.com si Toussaint Roze réalise son rêve ? De la même manière qu’il vaut mieux vivre avec Google que face à Google, de nombreux services d’archives (surtout parmi les moins fortunés) pourraient choisir de vivre avec genealogie.com plutôt que face à genealogie.com. Et c’est bien pour cette raison que le risque de diminution du service public est réel. Guillaume l’a très bien compris et expliqué dans son dernier article sur FranceGenWeb qu’il m’a permis de citer ici : Car aider un acteur privé à écraser le secteur en lui permettant de vendre l’accès aux images d’archives, c’est, à court terme, tuer le service public, particulièrement dans une période de réduction des budgets alloués aux collectivité locales. Ce n’est certes pas une privatisation dans les textes, mais bien une privatisation de facto. De nombreux généalogistes et archivistes se demandent si Toussaint Roze réalisera son rêve. Beaucoup souhaitent qu’il n’y parvienne pas. Personnellement, je poserais la question autrement. Le gouvernement va-t-il octroyer une partie du grand emprunt à une entreprise en perte de vitesse, qui vient de perdre sa place de leader et dont les clients préfèrent aller voir chez les concurrents ? Le gouvernement va-t-il retenir un projet dont les utilisateurs finaux ne veulent pas ? Et surtout, le gouvernement prendra-t-il le risque de voir l’un de ses ministres pris dans la tourmente d’un nouveau scandale de conflit d’intérêt ? Pas sûr… |
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